Audrey Aegerter est doctorante à l’atelier « Genre(s) et sexualité(s) » à l’ULB ; elle réalise sa thèse dans le cadre du projet européen INIA, Intersex - New Interdisciplinary Approaches qui porte sur le développement du militantisme intersexe en Europe. Elle aborde avec nous l’intersexuation.
De la médicalisation à l'autodétermination des personnes intersexuées?
Qu’est-ce qu’une personne intersexuée ?
Audrey Aegerter
Les personnes intersexuées naissent avec des caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas aux définitions médicales actuelles du masculin ou du féminin. Les variations étant très diverses, l’intersexuation peut être découverte avant ou pendant la naissance, ou à tout âge de la vie.
(lire à ce propos l'interview croisée « Le droit, outil de lutte sociale pour la transidentité »)
Le genre masculin/féminin, fait biologique ou construction sociale ?
Audrey Aegerter
C’est un mélange des deux. Chaque personne a un sexe biologique mais la définition ou l’interprétation de ce sexe est construite socialement et est amenée à évoluer. La médecine a repris les caractéristiques sexuelles et a instauré des critères arbitraires désignant ce qui est, ou pas acceptable ; dont la taille du clitoris ou du pénis, les taux hormonaux, les répartitions graisseuses. Tout ce qui ne rentre pas dans ces critères est pathologisé.
Que se passe-t-il à l’annonce d’un enfant intersexué ?
Audrey Aegerter
Les parents vont être amenés à rencontrer une équipe médicale composée de médecins spécialistes en endocrinologie, chirurgie, urologie, etc. L’accompagnement est fort médicalisé, ce qui est source d’anxiété pour les parents qui vont penser que leur enfant est malade.
L’opération est-elle vitale ?
Audrey Aegerter
Il peut arriver qu’il y ait des nécessités vitales, par exemple si l’enfant n’arrive pas à uriner. Mais dans la grande majorité des cas, il n’y a pas cette nécessité. De manière très résumée, les traitements non-urgents répondent à trois objectifs : des considérations « esthétiques », une puberté conforme au genre assigné à la naissance et la capacité d’avoir des rapports hétérosexuels. Ce ne sont donc pas des questions médicales mais sociales.
Quelles sont les conséquences pour l’enfant ?
Audrey Aegerter
Une étude australienne a publié des chiffres sur la santé mentale des personnes intersexes. Elle parle notamment de 19% de tentatives de suicides, ce qui est énorme. Elle indique également que beaucoup arrêtent l’école, souffrent de stress post-traumatique, d’anxiété, de dépression, ou d’incapacité de travail. Les résultats de cette étude vont dans le même sens que ceux de l’enquête de l’Agence européenne pour les droits fondamentaux sortie en 2019. On note également un risque accru d’ostéoporose, d’infections, de pertes de sensibilité ou de dépendance à la médecine… Donc une vie avec beaucoup de problèmes.
Ces questions font actuellement débat?
Audrey Aegerter
L’intersexuation n’est pas une question d’identité de genre mais de caractéristiques sexuelles. Comme la Belgique, de nombreux États réfléchissent à introduire d’autres marqueurs de genre. La communauté intersexe demande que ces marqueurs soient accessibles à toutes les personnes sur la base du droit à l’autodétermination. Ces catégories ne devraient pas être limitées aux personnes intersexes, comme c’est le cas en Allemagne.
Comment voyez-vous l'avenir du mouvement intersexe ?
Audrey Aegerter
Je me réjouis de voir la loi sur l’interdiction des opérations qui est en cours d’adoption en Belgique. Il y aura sûrement du travail pour améliorer son champ d’application et son implémentation. Par ailleurs, le mouvement va poursuivre la sensibilisation, et travailler sur le soutien psychosocial pour les parents… Je pense qu’une mise en lien systématique des parents avec des associations de personnes concernées, est importante pour réduire leur détresse.