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Des sols au ciel Enjeux et défis de l'agriculture moderne

Comment produire de la nourriture tout en minimisant l'impact environnemental ? Un défi majeur pour l'agriculture moderne... Mais comment évaluer l'impact des différentes méthodes d'exploitation ?

Sur base de l’expertise de Cathy Clerbaux, professeure et chercheure en Sciences de l'Atmosphère et du Climat, Faculté des Sciences ; et de Cécile Thonar, professeure à l'École de Bioingénierie de Bruxelles, experte dans le domaine de la biologie du sol, Faculté des Sciences.

Certaines méthodes d'agriculture intensive peuvent générer des rendements élevés mais ont un impact négatif pour notre planète, tandis que des méthodes plus durables peuvent avoir des rendements moins élevés mais leurs conséquences environnementales sont bien moindres.

Historiquement, l'utilisation d'engrais azotés dans l'agriculture a révolutionné les rendements agricoles (procédé Haber-Bosch) en permettant une augmentation considérable des rendements et une diminution des famines à l'échelle mondiale. Cependant, cette méthode comporte des effets négatifs sur la conservation des écosystèmes, car lorsque les engrais sont appliqués de manière non contrôlée ou en quantité excessive, ils sont transformés et contribuent à la production de gaz à effet de serre et de particules. En outre, l'intensification de l'agriculture entraîne l'utilisation de machines et de tracteurs, qui brûlent du carburant et émettent du CO2. Bien que l'utilisation de chevaux pour le labour et la matière organique pour nourrir les plantes soient moins polluants, les rendements étaient beaucoup plus faibles. Ainsi, il est essentiel de trouver un équilibre entre la production agricole et la préservation de l'environnement.

Produire de la nourriture pour nourrir l’humanité est une nécessité, cependant la manière de produire relève du choix de chaque exploitant. Toutes les exploitations ne sont pas égales en ce qui concerne les conséquences environnementales. Par exemple, un élevage de bovins est souvent plus énergivore qu'une exploitation céréalière. Cependant, de grandes différences peuvent également exister entre des productions similaires en fonction de la méthode employée.

Prenons l'exemple des cultures : deux minéraux sont à la base de l'alimentation des plantes, le carbone et l'azote. Si le carbone est fixé par la photosynthèse, l'azote provient de matières organiques. Ce dernier est minéralisé par la biologie du sol pour être utilisé par la plante pour sa croissance. L'agriculture intensive, méthode couramment utilisée dans le monde entier, considère le sol comme un simple substrat sur lequel des engrais riches en azote déjà minéralisé sont apportés. Couplée à l'utilisation de pesticides et à une forte motorisation (tracteurs, machinerie, etc.), cette méthode de production agricole permet d'obtenir des rendements importants. Cependant, son impact environnemental est considérable. En effet, si la plante se nourrit de l'azote minéralisé dans l'engrais, une partie de celui-ci est également décomposée par la biologie du sol et se retrouve sous forme de gaz à effet de serre.

En revanche, certaines exploitations choisissent de suivre le cycle des éléments nutritifs et gèrent l'apport organique sur le sol, laissant ce dernier effectuer son travail de minéralisation naturelle pour les plantes. De tels procédés sont susceptibles d'être moins productifs à court terme, mais permettent une agriculture durable avec des conséquences bien moindres sur l'environnement.

Les méthodes utilisées pour produire des aliments sont donc cruciales pour évaluer leur impact sur l'environnement. Il ne suffit pas de connaître le type d'exploitation agricole, qu'il s'agisse d'un élevage de bovins, d'une culture céréalière ou d'une pisciculture. Il est également important de choisir l'indicateur approprié pour évaluer l'impact environnemental : souhaitons-nous mesurer la pollution des sols ou les émissions de gaz à effet de serre ? De plus, il est essentiel de pouvoir identifier les sources agricoles de pollution pour pouvoir y remédier.

Dans cette optique, l'ULB est pionnière dans l'analyse des émissions d'ammoniac par satellite. Ce gaz est émis par l'utilisation d'engrais et par les déjections animales, et participe à la production de particules. Toutefois, contrairement à d'autres gaz tels que le N2O ou le méthane, qui restent dans l'atmosphère pendant des années et se dispersent à travers le globe, l'ammoniac ne persiste pas plus d'une journée dans l'atmosphère. Il sert ainsi de bon traceur pour identifier les zones d'émission agricoles, ce qui est très utile pour l'étude de l'impact environnemental de l'agriculture. Les images satellite d'analyse des émissions d'ammoniac de l'ULB sont consultables via ce lien.

L'agroécologie est une approche différente de l'agriculture qui met l'accent sur les interactions naturelles et écologiques des différentes composantes d'un agrosystème. Elle suggère de faire jouer les rôles rendus par les différents intervenants dans ces écosystèmes pour fonctionner davantage. Cela permet de réduire les intrants importés de manière exogène et de favoriser des écosystèmes plus durables. À court terme, cette approche peut être moins rentable, mais à long terme, elle est plus durable. Les agriculteurs doivent être encouragés à adopter cette approche pour protéger la terre et la rendre plus productive sur le long terme

Les politiques agricoles ont un rôle crucial à jouer dans la lutte contre le changement climatique. En Belgique, les réglementations sont décidées au niveau européen et appliquées au niveau régional. Certains agriculteurs sont prêts à être sensibilisés aux bénéfices d'une agriculture moins polluante. Les contraintes imposées par le politique, que ce soit au niveau européen ou fédéral, ainsi que les subventions pour aménager ou pratiquer l'agriculture d'une manière plus respectueuse de l'environnement, sont nécessaires pour favoriser l'adoption de pratiques plus durables.

La lutte contre le changement climatique est devenue une priorité pour de nombreux pays. Pour atteindre cet objectif, les réglementations doivent être suffisamment contraignantes pour inciter les acteurs à agir. Les subventions pour la recherche aident les politiques à imaginer les réglementations les plus adaptées pour réduire l'impact sur le climat. Les projets de recherche fournissent des recommandations précieuses pour orienter le futur de l'agriculture. Il est donc essentiel que les politiques continuent de compter sur la recherche pour mettre en place des mesures efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Cathy Clerbaux, professeure en Sciences de l'Environnement et chercheure en Sciences de l'Atmosphère et du Climat, spécialisée dans l'analyse de données satellites pour surveiller les gaz atmosphériques.

Cécile Thonar, professeure à l'École de Bioingénierie de Bruxelles, rattachée à la Faculté des Sciences, experte dans le domaine de la biologie du sol, des interactions entre les plantes, le sol et les (micro)organismes, que ce soit dans le contexte du changement climatique ou non, avec un focus particulier sur les stress abiotiques.