Interview croisée entre Andrea Rea, sociologue et Marius Gilbert, épidémiologiste sur la notion de personnes à risque prise en compte dans la campagne de vaccination.
Comment définit-on les personnes à risque?
Qu’est-ce qu’un individu "à risque"?
Marius Gilbert
C’est une personne qui a une probabilité supérieure de développer des formes sévères de la maladie, menant à une hospitalisation en soins intensifs, voire à la mort. Il n’est pas possible de se protéger totalement de la transmission (gestes barrières, etc.) et il est difficile de compartimenter la population. La vaccination Covid se base sur deux facteurs de risque importants quant à la probabilité de contracter une forme sévère de la maladie une fois infecté: l’âge et les comorbidités.
Le mode de vie importe-t-il?
Andrea Rea
On pense de manière individuelle mais il faudrait examiner aussi les relations sociales. La question de l’inégalité sociale n’a pas été prise en compte dans les priorités vaccinales.
Comment critériser?
MG
On utilise surtout la fonction de protection du vaccin. On n’est pas assuré qu’il empêche complètement la transmission. Or l’impact de la Covid est inégal dans notre société: il faut définir une stratégie de vaccination.
Quels problèmes cela soulève-t-il?
AR
Le problème majeur de la stratégie vaccinale est la rareté des vaccins qui oblige à établir des groupes prioritaires et donc à discriminer.
MG
Plus on intègre de facteurs, plus la stratégie est complexe. Cela soulève des questions éthiques: quelles informations peut-on rassembler?
La stratégie vaccinale peut-elle évoluer?
MG
Les scientifiques revoient régulièrement leurs recommandations. Mais avec le goulot d’étranglement actuel à l’hôpital, la stratégie d’empêcher la forme sévère de la Covid semble être la plus pertinente. On est sur "la rareté" du vaccin. On doit faire une balance entre la quantité disponible et la gestion des priorités. Si on était en situation d’abondance, la priorisation aurait été conçue autrement.
Quelle information auriez-vous aimé connaître avant le début de l’épidémie?
MG
Des éléments scientifiques qui ont généré la controverse et retardé une réponse adaptée: la transmission par aérosols, l’usage du masque et la transmission par des personnes ne présentant pas de symptômes.
AR
La dimension de santé publique qui allait être trop peu prise en compte et révéler une hyper-fragilité au niveau gestion de risque; on s’est vite centré sur la dimension virologique.
Quelles leçons positives tirez-vous de cette crise?
AR
Nous avons pu observer une hyper-solidarité locale dans les secteurs socio-sanitaires au cours d’une enquête sur les invisibilisés de la pandémie; ceux dont on ne parle pas du tout, qui sont dans l’hyper-précarité.
MG
Deux choses: on constate que l’individualisme n’a pas tout gagné et que la science a été placée au cœur des fonctionnements décisionnels. Les experts et le politique doivent se targuer d’une reconnaissance réciproque de leurs compétences respectives: savoirs scientifiques et prises de décisions. Quand cela fonctionne, c’est extrêmement puissant pour autant qu’on n’ait pas une vue trop focalisée sur un seul champ scientifique: le biomédicalisé dans ce cas-ci.
Marius Gilbert
Epidémiologiste, directeur du Spatial Epidemiology Lab (SpELL), vice-recteur à la recherche et à la valorisation.
Andrea Rea
Professeur de sociologie, chercheur au GERME (Groupe d'étude sur les relations ethniques, les migrations et l'égalité).