Passer au contenu
9
Article précédent Article suivant

Trump VS Biden

Il y a un goût de déjà-vu dans les élections américaines qui se préparent. Alors que Joe Biden et Donald Trump se préparent à s’affronter dans les urnes une deuxième fois, le système politique semble peiner à voiler ses failles. Il est particulièrement interpellant de voir un pays, s’étant construit sur des polarisations perpétuelles, souffrir aujourd’hui de ce fossé se creusant encore dans sa population, plus interpellant encore de constater que finalement… aucun candidat ne fait l’unanimité.

Les élections de 2024 ne seront pas seulement un test pour les candidats, mais un referendum sur la vision du futur des États-Unis. Alors que le pays continue de lutter contre les répercussions du COVID, des lois anti-avortement et de la politique étrangère de Joe Biden, le peuple américain est appelé à choisir entre différentes trajectoires… pas si différentes que cela finalement.

Sur base de l'expertise du professeur d'Histoire contemporaine, Serge Jaumain, Conseiller de la Rectrice pour la Coopération au développement, Faculté de Philosophie et Sciences sociales.

Il faut avant tout partir du principe que les élections n’arrêteront pas la crise ; peut-être serviront-elles d’élément accablant ou d’accélérateur mais ses conséquences sont trop implantées pour s’effacer. Il y a quelques mois encore, une victoire de Joe Biden aurait permis de garder les apparences d’un front démocrate uni contre Trump mais il ne faut pas négliger l’impact des mauvais calculs de Joe Biden ces derniers mois dans son soutien incontesté à Israël et un perpétuel véto face à un cessez-le-feu à Gaza. À l’heure où la jeunesse américaine s’organise pour la Palestine dans les campus universitaires les plus prestigieux du pays, la question se pose de manière légitime ; pour qui ces jeunes voteront-ils ? Pourrait-on vraiment condamner leur non-participation dans un système qui inévitablement exclut leurs valeurs peu importe le résultat ?

Interrogé, Serge Jaumain (politologue à l’ULB) resouligne les évènements de 2020 où « Trump a réussi un effort de mobilisation exceptionnel et qu’en face de lui Joe Biden avait fait la même chose en réunissant tous ceux qui voulaient faire barrage à Donald Trump même s’ils n’étaient pas ses plus fervents partisans. Malgré le désenchantement d’une partie de la population je ne suis pas certain qu’il y aura un nombre exceptionnel de personnes qui refuseront de voter. Il y a en effet un certain nombre de dossiers comme par exemple celui de l’avortement (très fortement mise en évidence par les démocrates) ou de l’immigration (très fortement utilisé par les républicains) qui devraient mobiliser une partie de la population. Comme toujours il faut être hyper prudents dans les prédictions de ce qui pourrait se passer. »

Les alternatives sont peu nombreuses et terriblement peu convaincantes. On peut citer le cas de Robert Kennedy, candidat libre parvenant à se frayer une place minime, mais durable dans la sphère publique, bien que ses chances soient quasi-inexistantes. Cependant, on ne peut pas nier qu’il s’affiche comme choix possible pour les (nombreux) mécontents. Les démocrates ne savent proposer d’autres candidats que Joe Biden dans ce qui s’affiche presque comme une apathie générale au sein du parti. Personne ne se lance, personne ne veut (peut ?) s’imposer dans l’ombre grandissante de l’adversaire républicain. Cela est également vrai des candidats rouges eux-mêmes. Les cas de Nikki Haley et Ron de Santis, tous deux seuls et affaiblis depuis le départ face au mastodonte Trump, consolident la crise au sein du parti, telle qu’expliquée par Serge Jaumain : Ce qui est particulier aujourd’hui, c’est le poids acquis par Donald Trump qui a réussi à faire main basse sur le « parti républicain » qui est aujourd’hui devenu le « parti trumpiste ». Cette stratégie s’est avérée gagnante grâce à une base qui lui est d’une fidélité absolue et qui est notamment composée de déçus du système politique qu’il a réussi à (re)mobiliser. Il est en mesure de lui donner des consignes qui sont écoutées qui lui permettent notamment d’avoir un poids déterminant sur le choix des candidats républicains dans chaque État. Sans l’ « aval » de Trump, il est bien difficile de se faire élire. La plupart des élus l’ont compris. Les plus modérés ont souvent choisi d’abandonner la politique, les autres doivent leur survie politique au fait d’avoir déclaré leur fidélité absolue à Trump. C’est en grande partie ce contexte qui accentue aujourd’hui la polarisation.

Car force est de le constater, la démocratie américaine ne renaîtra pas des cendres d’une défaite républicaine. Considérons également qu’à l’inverse, un triomphe de Trump ne constituera pas une nouvelle maladie au cœur du système politique américain mais bien un autre symptôme du même problème. Si l’on additionne la première victoire de Trump, les difficultés grandissantes d’un parti républicain fracturé à la Chambre des représentants, le mécontentement face à l’interventionnisme américain en Ukraine ou au Moyen-Orient, ou même les évènements de janvier 2021 (longue liste), on peut déjà voir se dessiner de manière plus claire cette crise et son caractère permanent.

Plus qu’une élection présidentielle, c’est donc l’avenir des deux partis du pays qui va en partie se jouer dans les urnes. Alors qu’aucun des candidats ne ravit au sein même de leurs partis, il semble certain que la présidentielle pourra définir l’ampleur du gouffre qui attend l’heureux candidat durant son prochain mandat. Le principal atout de Biden c’est finalement son adversaire Donald Trump, nous dit Serge Jaumain. L’inverse est vrai ; les deux candidats s’affrontent dans la sphère médiatique moins pour leur électorat que l’un contre l’autre dans ce combat de coqs. Biden se présente comme le sage face au fou, Trump comme le dynamique face à l’endormi. Difficile donc d’y trouver son compte malgré tous les dossiers en jeu. Rendez-vous dans les urnes.