Passer au contenu
9
Article précédent Article suivant

Des européens sceptiques... Europe

Pour cet article sur le thème de l’Euroscepticisme, Nathalie Brack, professeure au département de sciences politiques à l’ULB et professeure invitée au Département d'études politiques et de gouvernance européennes au Collège d’Europe, nous offre son expertise pour mieux comprendre ce concept régulièrement mobilisé à l’approche des élections européennes.

Euroscepticisme, une opposition politique non traditionnelle, de quoi parle-t-on ?

Le concept d’euroscepticisme a diverses interprétations au sein du monde académique, mais globalement, il indique une opposition aux institutions européennes, à l’intégration européenne, ou encore à l’Union Européenne telle qu’elle est. Professeure Brack souligne à juste titre que ce dernier élément est difficile à définir puisque le projet européen est une cible mouvante. L’euroscepticisme évolue donc bien évidemment avec le contexte national et historique dans lequel il se trouve. Si on remonte à ses origines, le terme d’euroscepticisme a historiquement émergé dans les années 80 au Royaume-Uni pour désigner une opposition d’une frange politique britannique opposée au marché intérieur. 

Après ces débuts dans les années 80, cette opposition s’est poursuivie et diversifiée dans les années 90 et dans les années 2000 au fur et à mesure qu’il se propageait sur le Continent et que l’Union a fait face à des débats constitutionnels. La période de crise (2009-2022) a été propice au succès de l’euroscepticisme bien que la plupart des partis politiques eurosceptiques aient modéré leurs positions suite au Brexit.

De nos jours, ce qu’on désigne par l’euroscepticisme ‘hard’ – une opposition radicale au projet européen – est quasi inexistant, l’euroscepticisme vise plutôt les priorités de l’agenda européen, ou encore le fonctionnement et les compétences de ses institutions.  Ce qui différencie l’euroscepticisme d’une opposition politique traditionnelle, c’est qu’au-delà d’une critique aux politiques conduites pour le gouvernement en exercice, elle remet en cause le régime politique tel qu’il est, ses fondements, sa légitimité et son fonctionnement.

Tendance de longue durée, pourquoi l’Euroscepticisme séduit toujours ?

Le public séduit par les discours eurosceptiques est loin d’être une groupe homogène.  Deux principales raisons peuvent expliquer pourquoi les partis politiques mobilisent des discours eurosceptiques.

D’une part, le mécontentement n’est pas tant dirigé vers l’UE mais plutôt envers le fonctionnement de la démocratie libérale, ou de leurs élites politiques.   Au final, nous explique la chercheuse, la population européenne montre une connaissance assez limitée de la politique européenne.  Les gens supportant des partis eurosceptiques, donnent leur soutien parce que ce sont avant tout des partis radicaux, l’euroscepticisme est en quelque sorte un complément à leur discours. 

D’autre part, l’UE, loin d’être la plus efficace quand il s’agit de vendre ses accomplissements auprès de la population, peine à convaincre les gens des aspects positifs de l’intégration européenne.  Les études ont montré que ce qui est perçue comme des victoires du point de vue des institutions européennes ; par exemple la coordination sur les vaccins lors de la crise du COVID-19 et la réaction à l’éclatement de la guerre en Ukraine par exemple, est perçue négativement par la population.  Les victoires sont de courtes durées alors que le mécontentement persiste.

La gauche extrême et la droite extrême face à l’euroscepticisme

Les personnes votant pour ces partis politiques sont généralement qualifiées des perdants de la mondialisation.  Les partis de droite radicale sont préoccupés par des questions identitaires, le repli national est perçue comme une solution et le multiculturalisme comme une menace.  Alors que pour ce qu’il en est de certains groupes de gauche radicale, bien moins représentées que la droite radicale, la focale est sur les questions économiques.   L’électorat est mobilisé autour d’une opposition aux tendances néolibérales du marché et d’un appel pour des mécanismes de solidarité plus marqués. 

Dans leurs politiques publiques, la gauche radicale et la droite radicale s’oppose quasi en tout point et converge sur leur opposition à l’UE, par exemple, Professeure Brack explique que lors des votes sur la présidence de la Commission, il est quasi certain que la gauche radicale et la droite radicale vont s’y opposer quel que soit le/la candidat.e.   Mais il est important de garder à l’esprit que ce sont pour des raisons fondamentalement différentes.

Terreau fertile pour l’euroscepticisme

L’euroscepticisme peut être liée à l’insécurité économique par exemple, mais ce n’est certainement une généralité qui peut être appliquée à tous les cas.  Si on se penche sur l’Italie, le Nord du pays, beaucoup plus prospère est bien plus eurosceptique que le Sud, le même constat peut être appliqué à la Belgique, la Flandre est plus eurosceptique que la Wallonie.  Il n’y a donc pas de relation linéaire entre la richesse d’une région et sa position vis-à-vis de l’Europe.  D’autres facteurs sont à prendre en compte, comme les fonds de cohésion européens dont une région bénéficie, sa situation géographique joue aussi un impact sur son exposition aux vagues de migration.  Pour conclure l’Euroscepticisme est spécifique à chaque pays avec son contexte nationale propre.

Qu’en est-il de la situation en Belgique ?  Une différence fondamentale parmi les électeurs francophones et flamands ?

Selon Professeure Brack, il n’y a pas de différence fondamentales au sein de l’électorat francophone et flamand sur leurs positions européennes.  Ce qui diffère c’est bien l’offre politique.  A la différence de la Flandre, le plupart des partis wallons, sauf le PTB, a déjà participé ou participe aux gouvernements.  Et dans ce cas, ces partis ont des comptes à rendre vis-à-vis de l’UE.  Du côté flamand, c’est le Vlaams Belang qui amasse les votes protestataires.  Il a un discours eurosceptique, mais ses supporters donnent leurs voix à ce parti pour d’autres raisons principalement. 

En général, on constate que lorsque les partis eurosceptiques montent au pouvoir, ils se modèrent sur leurs discours eurosceptiques, comme ça a été le cas pour Fratelli Italia, seule exception sans doute, c’est le cas du premier ministre hongrois Orban.  Ça n’empêche aux partis politiques d’exprimer des critiques sur les politiques commerciales, agricoles de l’UE, sans pourtant se montrer en opposition au projet européen en tant que tel. 

Est-ce que l’électorat se soucie des élections européennes ?

Dans le cas de la Belgique, toutes les élections se déroulent le même jour.  Les partis politiques n’ont pas d’intérêt à motiver l’électorat principalement sur les questions européennes, ce n’est pas une stratégie payante.   En se penchant sur les précédentes élections en Belgique, on constate aussi que les électeurs belges ne votent en général pas pour différents partis pour les différents niveaux.  C’est-à-dire qu’en Belgique, on a tendance à voter pour le même parti pour le niveau régional, communautaire, fédéral et européen.

Des pistes pour mobiliser l’électorat sur les questions européennes ?

Aller vers plus de centralisation européenne n’aiderait certainement pas à endiguer l’euroscepticisme.  Une des pistes envisagées serait de donner le pouvoir aux partis européens de composer leurs listes électorales, tout en maintenant une collaboration étroite avec les partis nationaux, tout en garantissant la diversité et l'authenticité des messages politiques. Mais aussi, plus simplement, de discuter davantage de politique européenne.