Biais implicites, stéréotypes enracinés et plafond de verre : le milieu académique peut-il réellement être un espace neutre en termes de genre ? Comment les représentations genrées influencent-elles les trajectoires académiques ? Quels mécanismes perpétuent cette division genrée dans les choix de filières ?
Sur base de l’expertise de Simon Detemmerman, directeur de la Direction transversale d’appui à la stratégie, ainsi que des témoignages de Diana et Wassima, vice-présidentes de WomInTech, et d’Olivier Caron, infirmier.
Le choix d'une filière d'études est souvent influencé par divers facteurs, parmi lesquels les stéréotypes de genre jouent un rôle majeur. Certaines disciplines continuent d’être perçues comme "féminines" ou "masculines", une vision qui façonne non seulement les aspirations des étudiants mais aussi leur confiance et leurs performances académiques. Ces perceptions, bien qu'ancrées, commencent à évoluer grâce à des initiatives visant à réduire les inégalités et à promouvoir une plus grande diversité dans chaque filière.
Mais comment ces perceptions de genre influencent-elles concrètement les choix académiques des étudiant·es ? Quels moyens existent-ils pour rendre les filières plus inclusives et bâtir un système éducatif plus égalitaire ? Passons sous la loupe ces questions clés !
L'influence des stéréotypes de genre sur les choix de filières
Imaginez une salle de classe en début d’année académique. D’un côté, un amphithéâtre bondé d’étudiant·es en littérature, majoritairement des jeunes femmes discutant de leurs œuvres préférées. De l’autre, un laboratoire de physique où les visages masculins dominent les rangs. Cette image, presque caricaturale, illustre une réalité persistante dans nos systèmes éducatifs : certaines filières semblent avoir un genre.
Les stéréotypes de genre jouent un rôle déterminant dans le choix des filières par les étudiant·es et impactent également leur confiance en elles et eux ainsi que leurs performances académiques. Par exemple, les filières perçues comme plus « féminines » attirent davantage de femmes, tandis que celles jugées plus « masculines » comptent principalement des hommes. Ces perceptions, encore bien ancrées, continuent d’influencer les taux d’inscription et la manière dont les étudiants se projettent dans leurs études.
En outre, une étude a mis en évidence l’existence d’un biais de genre selon le type d’évaluation. Celui-ci pourrait s’expliquer par une confiance en soi souvent moindre chez les étudiantes, particulièrement au début de leurs parcours académiques.
Ce biais de genre se manifeste dès les premières étapes de l’enseignement, au primaire et au secondaire. C’est donc à ce moment-là qu’il devient crucial de sensibiliser les élèves, afin de leur montrer qu’aucun domaine ou type d’études ne dépend de leur genre.
« Quand j'étais en secondaire, personne ne m'a jamais parlé des études d'ingénieur, alors que j'avais de bonnes compétences dans les matières scientifiques. Les enseignants n'évoquaient même pas ces parcours comme une option possible. Je pense que le biais de genre commence dès l'enfance et se renforce avec le temps. Se retrouver dans des cours préparatoires ou des groupes de travaux pratiques, où l’environnement était très majoritairement masculin avec peu de filles, donnait simplement l'impression que ce n'était pas un milieu fait pour nous ». Nous racontent Diana, étudiante en Ir. Biomédical, et Wassima, étudiante en Ir. Architecture
« Je travaille en tant qu'infirmier depuis les années 90 et il est vrai que cette fonction est majoritairement exercée par des femmes. Certaines qualités sont nécessaires pour ce métier dont la bienveillance, la douceur, l'attention... des qualités souvent associées à la femme. De plus, historiquement, le médecin devait être un homme et c'est une femme qui devait l'assister. Heureusement, la société évolue et il est important de casser ces stéréotypes principalement liés au genre. Lors de mes études début 90, nous étions peu d'hommes dans les promotions et, même si nous sommes toujours minoritaires, nous sommes de plus en plus nombreux. Les qualités humaines nécessaires pour exercer ce métier ne dépendent pas du genre, mais de la compétence et de l'attitude personnelle. Je pense aussi que la mixité, peu importe les professions, est nécessaire au sein d'une équipe de travail, chacun partageant son ressenti, son expérience, ses compétences. » Témoigne Olivier Caron, infirmier.
Mais que mettre en place pour pallier la sous-représentation des genres ?
Dans l’enseignement supérieur et universitaire, de nombreuses initiatives intéressantes existent déjà. Parmi elles, la valorisation de parcours d’alumni, d’étudiants ou de professionnels dans diverses filières, qui contribuent à déconstruire les préjugés encore présents. Il reste crucial de mener une réflexion plus large sur les représentations des différents genres dans notre société. Ce travail est fondamental, dans une société encore profondément patriarcale, où les figures de pouvoir sont majoritairement perçues comme masculines. Un travail de fond au niveau sociétal est donc indispensable.
L’Université joue également un rôle déterminant. L’égalité y est loin d’être parfaite, et elle doit servir d'exemple. Pour y parvenir, il est essentiel de porter une attention particulière au recrutement et à l’évaluation, en veillant à assurer un équilibre de genre. En analysant la composition des équipes, des déséquilibres de genre sont souvent observés, ce qui soulève la question de leurs causes et des actions à mettre en place pour les corriger, notamment lors des recrutements futurs.
Diana et Wassima nous expliquent qu’en première année de bachelier (BA1), on observe une majorité masculine, avec environ 80 % de garçons contre 20 % de filles. Cependant, au fil des années, une parité des genres tend à se former, car les filles réussissent très bien. Pour favoriser l’intégration des filles, la cellule genre de l’ULB a instauré une règle : dans les travaux de projet en BA1, chaque groupe de 5 à 8 étudiants étudiants doit inclure au minimum deux filles. Néanmoins, il reste difficile pour les filles de s’intégrer, de sociabiliser et de trouver leur place. Elles sont parfois perçues comme les secrétaires du groupe, et leur légitimité dans cette filière est fréquemment remise en question.
Simon Detemmerman indique que la question doit également se poser dans la composition du middle management. Un enjeu à garder à l’esprit, d’autant plus qu’il est observé que, à mesure que l’on progresse dans la hiérarchie, la proportion de femmes diminue.
Concrètement, comment cette répartition des genres a-t-elle évolué et comment pourrait-elle se transformer à l'avenir ?
La répartition des genres dans les filières universitaires semble évoluer, bien que cela varie selon les domaines. Par exemple, à Polytech, le nombre d'étudiantes a légèrement augmenté au cours des trois - quatre dernières années, ce qui constitue un progrès. On observe également une tendance similaire dans les facultés de sciences. Cependant, il est difficile de prédire si cette évolution se poursuivra dans les années à venir.
En parallèle, on constate que la proportion de femmes inscrites à l’université a globalement augmenté dans presque toutes les filières. En effet, depuis quelques années, le taux d’étudiantes a augmenté de 2 à 3 %.
Des initiatives ont été mises en place au sein de la faculté polytechnique pour réduire le déséquilibre entre les sexes. Néanmoins, cette faculté reste celle où cet écart demeure le plus important. À l’inverse, dans certaines facultés, comme les études de psychologie, la proportion de femmes dépasse largement 50 %, atteignant environ 80 %. Cela illustre un autre déséquilibre, mais dans l'autre sens.
C’est dans ce contexte qu’est née une initiative portée par des étudiantes : WomInTech. Son objectif principal est de promouvoir une répartition plus équilibrée des genres au sein des filières STEM.
Diana et Wassima expliquent que : « parler de ces disciplines permet de les démocratiser auprès des jeunes filles et de leur montrer les nombreuses possibilités de carrière qui s’offrent à elles. »
WomInTech intervient régulièrement dans les écoles pour sensibiliser les élèves aux études STEM. Les étudiantes soulignent un frein majeur : le manque de modèles féminins dans ces disciplines. « Nous voulons offrir aux filles l’opportunité de découvrir ces carrières. Nous avons organisé un concours où chaque groupe participant réalise une vidéo mettant en lumière l’invention d’une femme scientifique. Ce concours sensibilise les élèves à la contribution des femmes dans les STEM. Le gagnant remporte le financement d’un minerval. »
En parallèle, WomInTech organise aussi des WomInLab, permettant aux jeunes du secondaire de participer à un atelier en laboratoire avec l’aide d’assistants. « Cela démystifie les études d’ingénieur et permet à celles qui hésitent de conforter leur choix. »
L’association joue également un rôle dans la recherche de stages et la connexion entre étudiants. Toutefois, son programme phare reste le mentorat. Diana et Wassima nous expliquent sourire aux lèvres:
« Une jeune fille nous a rencontrées pour la première fois au salon SIEP, puis elle est venue à un WomInLab. Elle a tellement aimé l’expérience qu’elle a participé au concours de vulgarisation. Elle a ensuite réussi l’examen d’entrée et fait désormais partie de notre programme de mentorat. »
Le saviez-vous ?
Les inégalités entre les femmes et les hommes dans le monde du travail trouvent en partie leurs origines dans le modèle des années 50. À cette époque, la femme était principalement cantonnée à la gestion du foyer et au soutien de son mari, souvent absent en raison de longues heures de travail.
Les premiers métiers accessibles aux femmes correspondaient à l'idéal féminin de l’époque : une femme douce, délicate, attentive aux autres et, surtout, qui ne devait pas empiéter sur l’espace occupé par les hommes dans le monde professionnel. Le métier d’enseignante en est un exemple frappant, illustrant le stéréotype de la femme proche des enfants et dédiée à leur éducation.
À l’inverse, les nouvelles professions liées aux avancées technologiques étaient largement réservées aux hommes, libérés des responsabilités domestiques que les femmes continuaient d’assumer.
Bien que les mentalités aient évolué aujourd’hui, les femmes restent souvent celles qui gèrent en majorité le foyer (ménage, enfants…). Par conséquent, elles sont fréquemment contraintes de choisir des emplois à temps partiel, ce qui perpétue les inégalités professionnelles.[1]
[1] https://timewise.co.uk/article/article-real-reasons-behind-gender-pay-gap/