Le choix de faire des études supérieures et l’orientation sont des étapes cruciales et considérées comme décisives. Si aujourd’hui, on observe une augmentation des réorientations adultes ou encore la reprise tardive d’études, le choix que l’on fait à la sortie des études secondaires est déterminant mais pas inéluctable. Dans cet article, nous chercherons à comprendre quels sont les facteurs d’influence dans le choix d’orientation.
Lors d’un entretien avec le professeur Dirk Jacobs, professeur de sociologie à l’ULB au sein de la faculté de Philosophie et sciences sociales, nous avons pu mettre en avant des variables explicatives dans les choix d’orientation fait par les jeunes étudiant.es.
Nous verrons dans un premier temps que l’origine socio-économique joue un rôle important dans la prise de décision et comment le système éducatif belge contribue largement à perpétuer les inégalités sociales dans l’enseignement supérieur. Enfin, nous verrons comment les stéréotypes de genre ancrés dans l’imaginaire collectif façonnent les décisions individuelles d’orientation.
L’origine socio-économique : un facteur déterminant dans le choix d’orientation
Une récente étude réalisée par des chercheurs à la VUB met en évidence des dynamiques intéressantes sur les inégalités sociales au sein de l’enseignement supérieur. En retraçant l’évolution historique, les chercheurs mettent en avant l’accès très restreint qui structurait l’accès à l’université dans les années cinquante. Réservées aux élites, les universités étaient des moteurs pour la reproduction sociale et l’entre-soi. Dans les années septante à quatre-vingt, à la fin des trente glorieuses, une vague de démocratisation a eu lieu, qu’on explique largement par la féminisation des études supérieures et l’accès à l’éducation de nouvelles couches de la société. Toutefois, depuis les années nonante, les chercheurs ont observé la formation d’une « courbe en U » avec une remontée des inégalités sociales au sein de l’enseignement supérieur.
Ces inégalités, selon le professeur Jacobs, s’expliquent notamment par des facteurs socioéconomiques déterminants. En Belgique, un élément-clé réside dans le système éducatif qui impose des choix d’orientation dès le début de l’enseignement secondaire. Dès l’âge de quatorze ans, les élèves doivent choisir entre l’enseignement technique ou professionnel, qui prépare à l’entrée rapide sur le marché du travail, ou l’enseignement général, qui prépare à l’entrée aux études supérieures. Ces choix précoces ont tendance à être largement orientés par les familles. Ainsi, les personnes issues de la classe ouvrière ont tendance à opter pour l’enseignement technique ou professionnel et pratiquent l’autocensure, tandis que les élèves issus des classes favorisées sont poussés à s’orienter vers l’enseignement général dans le but de réaliser des études supérieures, apportant prestige et valorisation.
Une fois dans les études secondaires générales, un nouveau tri s’effectue lors du choix des filières. Ainsi, les filières telles latin/grec et mathématiques voient majoritairement arriver des élèves issus de milieux favorisés, ce qui, dès l’enseignement secondaire crée une scolarité à double vitesse qui renforce les clivages sociaux. Ce système relève, selon le professeur Jacobs, d’une hiérarchie informelle instaurée entre les différentes filières. Les élèves, contraints de réaliser un choix si important,si jeune, les prédisposent à des parcours limitant leur mobilité sociale. Le professeur Jacobs parle alors « d’une panne de l’ascenseur de mobilité sociale ».
Les stéréotypes de genre et leur impact sur le choix d’orientation
Outre les inégalités socio-économiques, la société est porteuse de normes genrées qui jouent un rôle majeur dans les décisions d’orientation.
Si on assiste ces dernières années à une féminisation des études supérieures, les femmes sont cependant majoritairement représentées dans les filières des sciences sociales et sciences humaines, tandis que les hommes sont majoritaires dans les sciences exactes. Ces tendances sont le reflet de normes genrées profondément ancrées. Par exemple, les femmes sont souvent perçues comme naturellement enclines aux professions liées au “care” (soin, enseignement), tandis que les hommes seraient plus compétents dans les disciplines analytiques et techniques, comme les mathématiques.
Ces phénomènes s’observent dès le plus jeune âge, dans les familles où les garçons sont plus encouragés à être fort en mathématiques, discipline largement valorisée dans la société. Malgré des déclarations faites sur le caractère « biologique » de cette supposée supériorité en mathématiques, des études à large échelle réalisées dans les pays scandinaves où la société est considérée comme plus égalitaire entre les hommes et les femmes, montrent que les résultats des femmes en mathématiques sont les mêmes que pour les hommes. Ces études montrent ainsi qu’il n’y a rien de naturel mais bien des conséquences des constructions sociales qui nous poussent à nous spécialiser dans des filières selon notre genre.
Pour contrer ces biais, des initiatives émergent, comme la révision des contenus pédagogiques. Le professeur Jacobs souligne, par exemple, que les manuels scolaires récents représentent davantage les femmes dans des professions scientifiques ou techniques, ce qui contribue à déconstruire ces normes genrées.
Conclusion et pistes de réflexion
Ainsi, selon le professeur Jacobs, une grande partie du choix d’orientation est réalisée dès l’école secondaire, avant même que les élèves ne disposent d’une réelle connaissance d’eux-mêmes et de leurs aspirations. C’est pourquoi, le Pacte pour un enseignement supérieur d’excellence qu’il soutient, propose de repousser l’âge du choix d’orientation afin d’assurer une continuité du parcours scolaire de la maternelle jusqu’à 14 ans ; permettant la réduction des inégalités structurelles et les conséquences durables de choix précoces.
Dans une perspective plus large, le professeur Jacobs relève que, malgré la massification de l’accès aux études supérieures, d’importantes disparités subsistent après l’obtention du diplôme. La valeur du diplôme dépend de nouveaux critères. Si avant un diplôme universitaire était valorisé, aujourd’hui, on se base sur des critères supplémentaires comme les établissements fréquentés, le nombre de diplômes obtenus, les stages et le networking pour évaluer la valeur du diplôme. Pour les étudiant.es issus de milieux modestes, qui doivent souvent contracter des prêts ou se limiter aux aides financières, ces opportunités restent difficiles à saisir, perpétuant ainsi les inégalités après l’université.
Le choix d’orientation est influencé par une multitude de facteurs, parmi lesquels les origines socioéconomiques et les stéréotypes de genre jouent un rôle clé. Un changement profond est nécessaire pour assurer une véritable équité dans les parcours éducatifs et professionnels qui nécessite des ajustements du système éducatif mais également une transformation des normes sociales et culturelles qui influencent les aspirations individuelles. Les réorientations à l’âge adulte, après une première carrière, montrent que certains arrivent à retrouver le chemin de leurs aspirations profondes.