Dans un monde où l’accès à l’emploi est de plus en plus conditionné par des qualifications spécifiques, quelle est la véritable valeur d’un diplôme ? En offre-t-il toujours autant qu’on l’imagine ou devient-il parfois un poids ?
Charlotte, Lucas et Camille, tous sortis des études, reviennent sur leur parcours scolaire et leur cheminement d’insertion professionnelle. Leurs témoignages rétrospectifs racontent quelle valeur chacun et chacune ont donné à leur diplôme, mais aussi celle que le marché du travail a pu leur donner en retour.
En complément, un épisode de podcast donne la parole à deux expertes en ressources humaines pour approfondir cette réflexion et confronter les points de vue.
Qu'en pensent les recruteurs ?
Le diplôme est-il réellement indispensable pour les services RH ? Nous sommes allé poser nos questions à deux expertes : Pascaline Dodemont, responsable ressources humaines dans une PME spécialisée dans la vente et le secteur de la construction, et Maissa, responsable ressources humaines dans une société de conseil en informatique, ingénierie et pharmaceutique.
Lucas a aujourd’hui 25 ans. En 2019, il termine sa rhéto comme tous les adolescents de 17 ou 18 ans. Élève avec des facilités, il a été habitué à travailler peu et réussir plutôt bien. Malgré un accrochage en 5e secondaires, Lucas termine ses secondaires et se questionne pour la suite. Quelles études faire ? Pour décrocher quel diplôme ?
« C’est très théorique, très abstrait et je trouve que ça me forme très peu pour la suite de mon parcours professionnel. »
Comme beaucoup de futurs étudiants, Lucas finit par choisir les sciences économiques à Solvay, un peu par dépit mais surtout en pensant que c’est l’option « qui lui ouvrirait le plus de portes ». Après deux premières années dans le système universitaire, Lucas s’ennuie et sent que les études ne lui correspondent pas : « c’est très théorique, très abstrait et je trouve que ça me forme très peu pour la suite de mon parcours professionnel ». Tant bien que mal, Lucas se retrouve en 2022 avec une troisième année de bachelier à terminer avec 30 crédits à son programme, ce qui en termes de gestion de planning, est assez léger. Dès lors, Lucas se met à réfléchir. Il veut trouver une manière d’occuper son temps intelligemment. Il se met alors en quête de trouver un stage, sur base volontaire, afin d’aller voir de plus près ce qu’il se passe du côté du monde professionnel.
Après quelques recherches, Lucas dégote un stage dans le domaine de la vente sur le réseau social professionnel LinkedIn. Il fait face à son premier entretien, en l’occurrence un cas pratique. Il le réussit et il est embauché sur le champ. Il commence donc ce stage en parallèle de cette fameuse troisième (et normalement dernière année) de bachelier. Dans sa tête les choses sont claires : « Je compte bien finir mes études cette année-là, parce que la possibilité que ce stage se transforme en emploi est encore lointaine ». En effet, ce qui l’intéresse surtout avec ce stage, c’est « de découvrir le monde du travail, le vrai ». Pourtant, lorsqu’à la fin de son stage, son employeur lui fait une offre d’emploi, Lucas l’accepte.
Le diplôme, une nécessité ?
N’aimant plus vraiment ses études, cette porte de sortie était plutôt alléchante. Mais c’est surtout parce que l’entreprise partageait les mêmes valeurs et la même vision du travail que lui, et parce que celle-ci lui offrait de vraies perspectives d’évolution dans sa carrière future, que Lucas a fait son choix. C’est sans diplôme en poche qu’il intègre cette entreprise en tant qu’employé cette fois-ci. Il ajoute néanmoins que « le secteur dans lequel je travaille aujourd’hui est un secteur ou globalement, l’expérience prime sur n’importe quel diplôme ». D’ailleurs, ses deux patrons sont tous deux des entrepreneurs qui réussissent leur carrière, sans diplôme d’enseignement supérieur. L’absence de diplôme n’est alors pas un frein pour Lucas, et pour l’évolution professionnelle au sein de cette entreprise-là. Selon lui, ses études n’auraient jamais pu lui apprendre les compétences acquises lors de ce stage et dans la suite de son parcours professionnel. Il reconnait cependant qu’elles lui ont été utile pour apprendre certaines bases comme la comptabilité, l’informatique, le marketing, etc. Pour ce qui est du reste, il a tout appris sur le tas. Il affirme : « Dans mon secteur d’activité, je pense qu’un diplôme n’est pas primordial. Mais je conçois qu’un diplôme puisse être plus valorisé dans d’autres secteurs ».
À l’heure actuelle, Lucas a évolué dans l’entreprise, notamment dans la hiérarchie des postes alors même qu’il n’a toujours pas obtenu son diplôme de bachelier. Il affirme ne pas avoir de regrets pour l’instant : « Il m’arrive de me dire qu’avoir un diplôme en guise de filet de sécurité serait intéressant, mais étant donné mes ambitions entrepreneuriales pour la suite, je ne sais pas si cela me sera réellement utile ».
La surqualification, ou lorsqu’on accorde davantage de valeur aux diplômes
Camille est psychologue dans un centre PMS (psycho-médico-social) spécialisé à Uccle. Elle est détentrice de deux diplômes : l’un, un bachelier de psychologie à l’Université Libre de Bruxelles, l’autre, un master en psychologie dans la même université. La jeune femme a toujours été passionnée de psychologie, raison pour laquelle est s’est dirigée naturellement vers cette voie, qu’elle a par ailleurs – avec le recul – trouvé très enrichissante : « Ces deux diplômes m’ont permis d’acquérir une compréhension approfondie du comportement humain et de développer des compétences qui me sont utiles au quotidien ».
Malgré un diplôme de master en psychologie, Camille déplore le fait que le marché de l’emploi soit très compétitif et difficile d’accès dans ce secteur. Selon elle, le métier de psychologue est saturé et les opportunités sont donc limitées. Elle ajoute : « Les recruteurs exigent souvent des diplômes supplémentaires, comme des spécialisations ou des formations post-master, mais aussi des années d’expérience difficilement compatibles avec des études en parallèle, ce qui rend l’accès à ces fonctions encore plus complexe ». Selon Camille, l’explication relève du fait que le domaine de la psychologie est souvent centré sur la formation académique, et beaucoup moins sur le réseautage, les soft skills et l’autodidactisme. Rajoutons à cela une forte concurrence sur le marché, et l’opportunité de dénicher un poste devient rare.
« Les recruteurs exigent souvent des diplômes supplémentaires, comme des spécialisations ou des formations post-master, mais aussi des années d’expérience difficilement compatibles avec des études en parallèle »
Pour Charlotte, 25 ans, les études sont enfin terminées depuis juin 2024. Après une seconde rhéto à l’étranger (en Islande précisément), un diplôme de bachelier en sciences humaines et sociales option gestion des ressources humaines, et un diplôme de master en sociologie de la migration et de l’ethnicité en anglais et en double diplomation*. Sa logique : « Après mon bachelier, j’ai décidé de faire un master parce que je voulais aller encore plus loin dans mes études. Je voulais être la plus qualifiée possible, parce que pour moi avoir un diplôme de master permettait d’avoir accès à davantage d’opportunités ». Elle explique tout de suite avoir été consciente que la sociologie était un champ plutôt théorique, raison pour laquelle elle a cherché à le lier avec des domaines plus concrets comme ceux de la migration et de l’ethnicité. Elle ajoute : « Ces sujets sont très débattus dans l’actualité, et très controversés. Je me suis alors dit qu’il serait intéressant d’avoir une connaissance pointue sur ceux-ci ». Avec ce master spécifique en poche (tant par l’approche thématique, que par l’approche de la double diplomation en anglais), Charlotte espérait pouvoir sortir du lot par rapport aux autres profils sur le marché du travail dans ce domaine. Elle avait misé sur le caractère « nouveau » de ces thématiques, pour lui ouvrir un maximum de portes. Malheureusement, ça n’a pas été le cas.
* Charlotte a effectué sa première année de master en Belgique, à l’Université de Liège. Pour la seconde année, elle est partie terminer son master dans une des universités participantes au programme, à savoir une université en Suède.
Être sur-spécialisé, c’est possible ?
Pour Charlotte, avoir un diplôme aussi particulier devait lui ouvrir des portes : « Je m’étais dit, c’est tellement spécifique, que les entreprises vont d’office se dire qu’elles n’ont pas encore de personne qualifiée pour ça chez elle, et qu’il leur faut donc un profil comme le mien. » Elle pensait bénéficier de la carte « valeur ajoutée » pour séduire les employeurs. Mais la réalité est tout autre, elle l’explique d’ailleurs en disant que selon elle, les thématiques de la migration et de l’ethnicité, bien que fort discutées dans la sphère politique, ne sont pas encore assez démocratisées dans la société. Dès lors, Charlotte pouvait prétendre à des métiers pratiques, de terrain, comme par exemple officière de la migration, employée chez Fedasil*, assistante sociale etc. Or, ce que Charlotte veut c’est « approfondir ces questions, à un niveau beaucoup plus global, en utilisant mon cerveau ». Pour elle, ça coince au niveau des cases : « Pour être employée, tu dois répondre à des critères spécifiques et donc tu dois rentrer dans des cases. Or, mon master ne rentrait ni vraiment dans la case sociologie, ni dans la case politique, ni même dans la case économique ».
* L'Agence fédérale pour l'accueil des demandeurs d'asile.
À un moment donné, Charlotte s’est alors posée la question de son choix d’études. Avait-elle bien fait de choisir un master si spécifique ? N’aurait-elle pas du se rabattre sur une filière plus généraliste, ou à tout le moins différente ? Avec le recul, elle ne regrette rien. Elle est simplement consciente que ça va prendre du temps avant de trouver l’emploi qui lui corresponde, et qui soit à la hauteur de la valeur de son diplôme. Ce qu’elle déplore, c’est que les entreprises sont vite « effrayées » par un intitulé de diplôme tel que le sien. En effet, la sociologie de la migration et l’ethnicité est un domaine très spécifique. Mais pour Charlotte, ses diplômes représentent bien plus de connaissances générales acquises, que de compétences ultra-spécifiques – presque niches. Selon elle, le titre de son master n’est pas représentatif non plus de ce qu’elle peut apporter, en tant que personne, à une entreprise.
« Le diplôme est un concept qui remonte à des centaines d’années et je pense qu’il faudrait peut-être y réfléchir, valoriser d’autres alternatives sur le marché de l’emploi ».
Conscience que l’addition nouveauté et spécificité n’a pas joué en sa faveur pour l’instant, Charlotte ne se décourage pas. La société, et plus particulièrement le marché du travail, a souvent besoin d’un temps d’adaptation après la création de nouvelles filières. Charlotte continue de postuler pour les emplois qui l’intéressent vraiment et rappelle que « certes, le diplôme a beau avoir de la valeur abstraite, il faut savoir l’interpréter, c’est-à-dire que l’entreprise en face de toi puisse donner à ton diplôme la valeur qu’il a réellement ». Elle conclut : « Le diplôme, c’est bien pour avoir accès à des opportunités et pour être valorisé aux yeux des autres, mais ça ne fait pas tout. Le diplôme est un concept qui remonte à des centaines d’années et je pense qu’il faudrait peut-être y réfléchir, valoriser d’autres alternatives sur le marché de l’emploi ».