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Médias: comment être un conflit "vendeur" ? La couverture médiatique des conflits

Regards croisés
  • Laure-Anne Massart
  • Pierre Lofuta Olenga Vuvu

Au regard du nombre de conflits armés en cours dans le monde, nombreux sont ceux qui passent à la trappe de la couverture médiatique. Des pays tels que le Nigeria, le Soudan ou encore le Tchad qui connaissent actuellement, et parfois depuis plusieurs dizaines d’années, des conflits armés sont pourtant quasi inexistants dans les médias. C’est l’inverse pour la guerre russo-ukrainienne qui a joui d’une médiatisation extrême durant les premiers mois du conflit, mais dont la couverture médiatique s’essouffle progressivement.

Voyons ensemble les facteurs qui poussent à la (non-)médiatisation des conflits avec David Domingo, professeur de journalisme et Laurent Licata, professeur de psychologie sociale et interculturelle.

Quels sont les ressorts médiatiques qui entrent en jeu quand il s’agit de couvrir un conflit armé ?

David Domingo

Les journalistes appliquent des critères de sélection qui peuvent sembler très évidents pour eux mais qui ne sont pas souvent discutés systématiquement. Généralement, le choix va être porté sur des conflits qui touchent les consommateurs des médias. Pour cela, la question de la proximité géographique est souvent centrale : si la distance géographique et culturelle est importante, il est plus difficile d’intéresser le public. Par conséquent, on met parfois en avant d’autres critères, comme le nombre de personnes affectées ou la gravité de la situation, mais cela reste plus difficile de retenir l’attention du public sans ce critère de proximité.

La distance géographique est-elle également un frein pour des raisons plus « pratiques » (difficultés à envoyer des reporters sur place par exemple) ?

David Domingo

Les institutions médiatiques connaissent une crise économique depuis environ deux décennies et peinent en effet à envoyer des journalistes sur le terrain. À cause de cela, on a parfois un manque de contexte dans le récit médiatique des conflits car les journalistes se basent sur des rapports très synthétiques pour tirer leurs informations.

On entend parfois qu’une distance géographique importante tend à diminuer l’empathie que l’on va éprouver à l’égard des populations victimes de drames divers. Quels sont les mécanismes qui entrent en jeu dans le phénomène d’empathie ?

Laurent Licata

La distance géographique peut effectivement être un des facteurs qui intervient dans la distance psychologique. Mais cela se joue principalement au niveau de la reconnaissance de soi, ou la perception de similarité, dans les personnes qui souffrent.

Par exemple, lors des attentats du 11 septembre 2001, les Européens ont eu beaucoup d’empathie envers les New-Yorkais car ils sont considérés comme proches culturellement bien qu’éloignés géographiquement.

Les facteurs de déshumanisation entrent également en jeu: si les personnes sont conceptualisées comme des masses et non comme des individus, cela va engendrer moins d’empathie à leur égard. Les individus peuvent être des patients ou des agents moraux: les agents posent les actes, tandis que les patients reçoivent ces actes. Ces rôles peuvent revêtir une polarité positive ou négative selon que l’on fait du bien ou du mal à autrui.

Ils peuvent également varier, ils ne sont pas fixes. Si des personnes sont considérées comme des victimes, cela va engendrer plus d’empathie. Au contraire, si l’on présente les victimes des conflits comme des personnes potentiellement dangereuses, et c’est notamment le cas des migrants que l’on présente souvent comme des hommes dangereux, alors l’empathie à leur égard va diminuer.

L’écart culturel est donc un frein à l’empathie ?

Laurent Licata

C’est la perception de l’écart culturel plus que l’écart lui-même qui va jouer. Le sentiment de proximité joue un rôle dans l’empathie.

Le modèle économique actuel de la presse et des organismes médiatiques a-t-il un impact dans le choix de couvrir tel ou tel événement ?

David Domingo

Dans le cas du journalisme en ligne, la pression du clic est très forte. Il faut travailler sur les sujets les plus populaires. L’information communiquée doit être neuve et apporter des changements, on doit toujours pouvoir expliquer quelque chose de nouveau au public pour l’intéresser. C’est pourquoi certains conflits qui perdurent dans le temps sont considérés comme moins intéressants. Pour avoir un modèle rentable, il faut privilégier des nouvelles qui vont marquer émotionnellement le public, plutôt que ce qui permet de comprendre en profondeur le contexte des conflits. Il y a également une concurrence entre les journaux pour être le premier à publier les informations.
Il y a là un effet pervers dans la dynamique de l’information: parler de la dernière minute et des informations les plus tangibles comme le nombre de morts plutôt que de mettre l’accent sur les violences symboliques et les causes du conflit entraine un risque de se perdre dans l’immédiateté.

On l’a vu dans le cas de la guerre en Ukraine, la forte médiatisation du conflit a entrainé une mobilisation importante des citoyen•nes belges, mais aussi d’autres pays européens. Les médias pourraient-ils avoir une plus-value ou, au contraire, un impact négatif dans la gestion des conflits ?

Laurent Licata

Est-ce la fonction des médias de susciter l’empathie? Les médias ont une fonction d’analyse et donnent des clés d’interprétation sur les conflits. S’ils choisissent de mettre en avant l’empathie, ils doivent le faire avec prudence car cela ouvre vers des émotions parfois très négatives. Il faut donner aux gens les clés de réponse. Les émotions sont passagères, quand on les suscite, il faut aussi donner des clés pour les soulager en s’engageant pour résoudre le conflit. Autrement, on risque de coincer les gens dans des émotions négatives inutiles. Si on joue sur les émotions négatives sans apporter de solutions, on risque de couper l’empathie car l’inconfort émotionnel ne débouche sur rien. Les émotions sont une préparation à l’action, s’il n’y a pas d’action, alors l’émotion redescend.

David Domingo

Les médias sont des acteurs très importants dans n’importe quel conflit car ils sont porteurs d’une idéologie. Il est difficile, même pour les journalistes, de rester dans une posture d’observateur sans aucune implication. De plus, selon le contexte politique, il peut y avoir un risque d'influence en vendant une version du conflit qui arrange un camp et pas l'autre, ce qui peut compliquer la situation.

Certains journalistes envisagent de nouvelles valeurs journalistiques, comme c’est le cas du journalisme de paix, par exemple. Ce type de journalisme propose d’assumer sa responsabilité de construire la paix en tentant de comprendre le point de vue de chaque parti, de prendre du recul afin de comprendre comment on est arrivé là. Il s’agit d’aller plus loin que la simple posture de témoin mais d’endosser le rôle d’acteurs sociétaux qui cherchent à trouver des solutions (réalistes et possibles). Car mieux comprendre un conflit peut permettre de mieux aider à le résoudre.

David Domingo

Professeur de journalisme en Faculté de Lettres, Traduction et Communication.

Laurent Licata

Professeur de psychologie sociale et interculturelle, en Faculté des Sciences psychologiques et de l'éducation.

Université Libre de Bruxelles

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