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Le droit de faire la guerre

Faire la guerre, oui, mais de quel droit ? Les États peuvent-ils faire ce qu'ils veulent ? Zoom sur le droit international traduit en bande dessinée.

"De Salamanque à Guatanamo - Une histoire du droit international" est la bande dessinée de Pierre Klein, Olivier Corten et Gérard Bedoret. Elle retrace l’évolution du droit international depuis la conquête de l'Amérique du Sud par les Espagnols jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Du haut de ses 258 pages, empreintes d’humour et d’intrigues, cette BD nous plonge dans les réalités d’un idéal. Nous avons rencontré les auteurs, Olivier Corten et Pierre Klein, professeurs au sein de la Faculté de Droit et de Criminologie.

© CORTEN-KLEIN-BEDORET/FUTUROPOLIS © CORTEN-KLEIN-BEDORET/FUTUROPOLIS

Quelles sont les racines du droit international, quels sont les principaux acteurs et quelle était leur vision ?

Pierre Klein

On pourrait faire remonter les racines du droit international très loin dans le temps. Dans la BD, nous avons choisi un point de départ qui est la fin du XVe siècle, dans le contexte du mouvement de conquête de l'Amérique du Sud par les explorateurs et les conquistadors espagnols. C'est à ce moment-là, qu'un certain nombre de questions ont commencé à être formulées et théorisées. Nous avons choisi de mettre l'accent sur un des « pères fondateurs » du droit international : Francisco de Victoria, un religieux espagnol qui a proposé une des premières conceptions de la théorie de la guerre juste et il l’a aussi accompagné d'une réflexion par rapport au traitement de ce qu'on pourrait appeler “les autres”, en l’occurrence, les populations indigènes victimes de la conquête.

Quelles sont les normes de droit international et quels étaient leurs objectifs ?

Pierre Klein

Le droit international couvre toute une série de matières extrêmement diversifiées. Les normes internationales sont extrêmement nombreuses et leur nombre a augmenté de façon exponentielle au cours du dernier siècle. On y trouve des normes couvrant des matières extrêmement techniques, des normes relatives à la protection des personnes, du droit des travailleurs, de la protection de l’environnement, du commerce international, etc.

Qu'est-ce qu'on en fait concrètement ?

Pierre Klein

Le droit international est un outil pour les États. Parfois, il est également à la disposition d'autres acteurs, comme des individus ou des groupes.

Dans un certain nombre de cas, les Etats vont se saisir de la possibilité de créer des normes. Avec des différentes étapes : est-ce qu'on décide d'adopter des normes dans tel ou tel domaine ? Est-ce qu'on va les promouvoir ? Est-ce qu’on va s'y conformer ? Qu'est-ce qu'on fait lorsqu'on constate qu’une norme n'est pas satisfaisante ? Ça va dépendre des possibilités d'action que les instruments en question mettent à la disposition des parties.

Quels sont les principaux défis du droit international ?

Olivier Corten

Il y a deux manières de voir les choses: la première est de créer de nouvelles règles. La deuxième est de respecter les règles qui sont déjà présentes.

L’idéal est de faire prévaloir ce qu'on estime juste en se servant du droit international comme un outil qui est à disposition de tout le monde. En effet, à la fin de la BD, on voit que ce système se retourne aussi contre les États dits "puissants". Le problème est que parfois, les Etats l’utilisent pour se justifier, mais pour que ça fonctionne, il faut une certaine autonomie.

Qu'est-ce que "la souveraineté des Etats" signifie et quel est son impact sur le respect des accords ?

Pierre Klein

La souveraineté de l’Etat est une notion absolument centrale et cruciale lorsqu'on parle du droit international.

Le concept de souveraineté se développe au XVIIe siècle avec la conclusion des traités de Westphalie. C’est une page déterminante : une reconnaissance du fait que chaque État, à l'intérieur de ses frontières, est le seul à décider de ce qu'il va s’y passer.

Dans la BD, on essaye de montrer comment cette notion a graduellement été clarifiée dans la jurisprudence internationale. La Cour permanente de Justice internationale, en particulier, a ainsi précisé qu'un État ne pouvait pas invoquer sa souveraineté pour se soustraire à l'exécution de ses engagements internationaux. Dire l’inverse serait évidemment revenu à dire qu'il n'y a pas de place pour le droit international.

Toutes ces institutions sont-elles réellement suffisantes et efficaces pour maintenir un semblant de paix ?

Olivier Corten

Pour maintenir un semblant de paix, nous pouvons répondre que oui.

Si l'on considère le contexte de sa formation et le texte de la Charte, l'ONU a contribué à éviter une troisième guerre mondiale. Il y a donc un cadre commun qui inclut tout le monde et permet la discussion. **C'est un langage commun qui rassemble des États qui ont parfois des points de vue complètement opposés.

Quel était l'objectif derrière la réalisation de votre BD "De Salamanque à Guatanamo - Une histoire du droit international" ?

Pierre Klein

L’idée principale était d’essayer de parler de notre discipline à un public plus large que le public auquel on s’adresse habituellement en utilisant des moyens qui étaient différents de ceux qu'on emploie habituellement pour la communication de savoirs scientifiques. La bande dessinée était un bon moyen pour pouvoir un peu franchir des barrières.

Pierre Klein, Gérard Bedoret et Olivier Corten

Auteurs de la bande dessinée "De Salamanque à Guatanamo - Une histoire du droit international". Pierre Klein et Olivier Corten sont chercheurs au Centre de Droit international, professeurs en Faculté de Droit et de Criminologie et lauréats du Prix de la diffusion scientifique ULB 2022.