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2000-2400 kcal/j dont 55% de glucides, 30-35% de lipides, 10-15% de protéines

Quels sont nos besoins caloriques quotidiens ? Que consomme-t-on réellement ? Qu’en est-il des disparités Nord-Sud ?

Interview de Jean-Charles Preiser, professeur de nutrition, directeur médical de la recherche biomédicale et de l’enseignement clinique, Faculté de Médecine.

Combien de calories avons-nous besoin par jour pour respecter les apports recommandés ?

Jean-Charles Preiser

L’apport calorique journalier recommandé est de 30-35 kcal/kg/j, autrement dit, environ 2000-2400 kcal/j pour un individu de 70 kg.
Ces apports recommandés dépendent de la dépense énergétique dans des conditions normales (autrement dit, chez un individu en bonne santé). Celle-ci correspond au métabolisme de base (énergie nécessaire au bon fonctionnement des organes) auquel on ajoute la dépense énergétique liée à l’activité physique (variable d’une personne à l’autre) ainsi que l’énergie consommée par la digestion (thermogenèse post-prandiale).

Sur base de quelles données ces apports journaliers recommandés sont-ils établis ?

Jean-Charles Preiser

Cet apport calorique est déterminé sur base de données épidémiologiques. Pour cela, les dépenses énergétiques journalières (DEJ), également appelées le besoin moyen, sont étudiées sur une population en bonne santé, en fonction du pays et de conditions particulières. On ajoute 2 déviations standards (DS) de la moyenne à ces besoins moyens pour arriver aux apports journaliers recommandés (AJR).

Combien de calories consommons-nous réellement par jour (Nord vs. Sud) ?

Jean-Charles Preiser

Il existe effectivement une disparité Nord – Sud en termes de calories consommées par jour. Celle-ci s’explique par la diversité alimentaire dont nous disposons dans les pays développés contrairement au manque de diversité et d’abondance dans la majorité des pays du Sud.
Cette disparité peut être chiffrée comme suit : les pays du Nord (Etats-Unis, Canada, Chine, … qui tendent vers un niveau de vie plus élevé) consomment environ 2800-3000 kcal/j alors que les pays du Sud (du moins les pays en voie de développement) sont restreints à 1800-2000 kcal/j en moyenne.
Ces chiffres sont calculés en fonction des achats alimentaires et non en fonction de ce que la population a vraiment dans son assiette (rappelons qu’il y a énormément de nourriture gaspillée, surtout dans les pays du Nord).

Quelle est la répartition glucides/lipides/protéines optimale vs réellement consommée (nord vs sud) ?

Jean-Charles Preiser

En Belgique, les apports journaliers recommandés sont répartis comme suit : 55% de glucides, 30-35% de lipides, 10-15% de protéines.
Cependant, cette répartition n’est actuellement pas retrouvée dans les enquêtes de consommation alimentaire chez les belges. Il a été démontré qu’on ne consommait que 40-45% de glucides, soit trop peu, 40% de lipides, soit de trop, ainsi que 15-20% de protéines, ce qui est également excessifs par rapport aux besoins nutritionnels.
Il est difficile de comparer la valeur nutritionnelle des apports journaliers entre pays du Nord et pays du Sud étant donné que les nutriments apportés par des aliments cultivés dans des régions différentes ne sont pas comparables compte tenu de la composition des sols qui varie grandement.
Nous pouvons cependant noter que les pays du Sud ont une consommation plus importante de glucides, étant donné la richesse de leur alimentation en céréales, mais une moins grande consommation de lipides et de protéines. Les protéines d’origine végétale, plus abondamment consommées dans les pays du Sud, ont en moyenne une moindre valeur biologique ou biodisponibilité, que les protéines d’origine animale, plus consommées dans les pays du Nord.

Quelles sont les conséquences sur la santé d’une sur- ou sous-consommation calorique et d’une mauvaise répartition des nutriments ?

Jean-Charles Preiser

La première conséquence sur la santé d’une surconsommation calorique est bien évidemment l’obésité. De nombreuses pathologies découlent à la fois de ce mode de nutrition et de l’obésité elle-même telles que le diabète de type 2, l’athérosclérose, les maladies cardio-vasculaires associées au syndrome métabolique ou encore certains cancers dont la fréquence augmente en car de surconsommation.
Inversement, la sous-consommation calorique peut entrainer une dénutrition, parfois sévère (prévalente dans les pays en voie de développement), mais aussi des carences en micronutriments (vitamines, acides gras, …) pouvant induire des pathologies spécifiques à chaque carence.

Quels sont les facteurs qui influencent la consommation de calories dans différentes régions du monde ?

Jean-Charles Preiser

Les principaux facteurs influençant la consommation calorique journalière sont la diversité et l’abondance alimentaire.
La composition des sols influence également la consommation calorique. Celle-ci explique certaines carences alimentaires retrouvées dans des régions du monde particulières, comme la carence en sélénium qui est endémique en Chine et au Tibet en raison de la pauvreté des terres en ce minéral alors qu’il est retrouvé de manière abondante en Amérique du Sud où la carence est donc exceptionnelle.

Comment les besoins caloriques et les habitudes alimentaires ont-ils évolué au fil du temps dans les différentes régions du monde ?

Jean-Charles Preiser

En ce qui concerne les pays du Nord, notre ère (depuis la révolution industrielle) est marquée par une abondance alimentaire sans précédent. Cette abondance se caractérise aussi bien en termes de quantité, qu’en terme de qualité (richesse des aliments) et de diversité. Parallèlement à cela, la sédentarité ne cesse de s’accroitre et les besoins diminuent donc.
La consommation alimentaire est plus stable dans les pays à bas revenus. En cas d’augmentation des apports énergétiques et de la sédentarité, la prévalence de l’obésité est en forte augmentation, comme en Chine.
Il est également important de souligner que depuis quelques années, un mouvement de conscientisation est né dans les pays du Nord. Ceci implique des produits alimentaires de meilleure qualité, une sensibilisation à la surconsommation et une activité physique globale en augmentation.

Quelles sont les populations à besoins nutritionnels spécifiques, pourquoi le sont-elles ?

Jean-Charles Preiser

Il est important de noter que les progrès médicaux actuels sont tels que les régimes spécifiques à certaines pathologies utilisés auparavant sont de moins en moins prescrits.
Prenons l’exemple du diabète de type 2. Auparavant, le régime « diabétique », c’est-à-dire pauvre en glucides, était la première ligne de traitement du diabète. A l’heure actuelle, la Metformine (premier traitement médicamenteux du diabète de type 2) est tellement efficace qu’elle remet en doute l’utilité d’un régime surajouté. Néanmoins, ce régime permet de réduire l’intensité du traitement médicamenteux et a donc toujours sa place dans le traitement du diabète.

L’importance relative du régime sans sel pour les insuffisants cardiaques et les patients hypertendus a diminué d’autant plus que la consommation en sel a tendance à diminuer naturellement dans nos populations au cours des dernières années.

Il existe également des populations à besoin très spécifiques : certaines personnes sont atteintes de maladies rares nécessitant un régime strict. Par exemple, la phénylcétonurie qui contre-indique formellement à la consommation d’un acide aminé, la phénylalanine.
L’intolérance au gluten, rare mais bien réelle, impose une adaptation du régime. Il convient cependant de la distinguer des tendances « sans gluten » qui sont plutôt liées à une pression de l’industrie plutôt qu’à de réelles contre-indications médicales. Idem pour l’intolérance au lactose, ne plus jamais boire de lait parce qu’on est un peu ballonné après avoir bu un verre est excessif. Certaines personnes réellement intolérantes représentent une population à régime spécifique mais il est recommandé de consulter un spécialiste avant d’exclure tel ou tel aliment de son assiette.

La mucoviscidose nécessite la prise d’enzymes pancréatiques pendant le repas. Il ne s’agit pas d’une restriction alimentaire à proprement parler mais bien d’une adaptation de ses habitudes lors des repas. Les nouveaux traitements de la mucoviscidose pourraient bien sûr changer la donne.

Les enfants ont également des besoins différents (en énergie, protéines, micronutriments). Ceux-ci dépendent de l’âge et de la croissance. Il existe des tables publiées par le CSS sur les quantités de nutriments et d’aliments (plus concret pour la population) nécessaires en fonction du stade de l’enfant.

La grossesse et l’allaitement représentent aussi des périodes à besoin accrus pour la femme.
La population gériatrique a, elle, tendance à manger moins. La faim des personnes âgées diminue suite à l’envoi de signaux par le tube digestif au cerveau qui diminuent la prise alimentaire. L’inactivité joue également un rôle dans ce manque d’appétit. Suite à cela, la personne âgée va développer de la sarcopénie (manque de muscle) qui amène un risque de chute et de déconditionnement significatif. On recommande donc pour ces personnes de consommer un bolus de protéines après un exercice physique afin de continuer à fabriquer du muscle. En conclusion il n’y a pas de mal à diminuer leur consommation en calories tant que les apports protéiques sont conservés.

Annexe pour étudiants en médecine :

Jean-Charles Preiser

Le problème de dénutrition à l’hôpital concerne toutes les spécialités et handicape fortement les patients d’un point de vue fonctionnel. Cela nécessite donc une sensibilisation du corps médical ; le dépistage de cette dénutrition doit être réalisé systématiquement à l’entrée d’un patient en unité d’hospitalisation. La prise en charge intra-hospitalière augmente encore la proportion de patients dénutris à la sortie de l’hôpital et il convient donc de transmettre ces informations nutritionnelles au médecin traitant afin de pouvoir assurer un suivi correct au long terme.

Pour les plus motivés d’entre vous :
Il existe depuis 10 ans, pour les médecins et étudiants en médecine, un certificat interuniversitaire en nutrition clinique (en partenariat avec l’ULiège et l’UCLouvain) qui permet de sensibiliser à la problématique et d’acquérir des connaissances solides basées sur les preuves afin de prendre en charge au mieux ses patients d’un point de vue nutritionnel.
Il s’agit de 135h de cours (2j/mois pendant 1 an) qui donneront accès à une compétence particulière en nutrition. Cette formation vise à éviter des dérives au sein d’un domaine dans lequel de nombreuses personnes sans qualifications donnent des conseils à tout va (but commercial, croyances dogmatiques dangereuses, …).

Pour plus d’informations sur le programme et les modalités d’inscription, veuillez consulter le site internet suivant : https://www.ulb.be/fr/programme/fc-478#presentation

Jean-Charles Preiser

Professeur de nutrition, directeur médical de la recherche biomédicale et de l’enseignement clinique, Faculté de Médecine.