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Université Libre de Bruxelles

Comprendre, questionner, débattre

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Différencier l'expert·e de "l'expert·e"

Interview
  • Justine Defossez
  • Hannah Nachtegaele

Qu'est-ce qu'un expert·e ? À partir de quand peut-on se considérer comme expert·e sur un sujet ? Ont-iels une influence ? À quels obstacles est confrontée la parole scientifique ? Mise en perceptive avec deux experts climat.

Interview croisée entre Romain Weikmans, professeur en politique internationale de l’environnement à l’ULB, Centre de recherche et d’études en politique internationale (REPI) - Faculté de Philosophie et Sciences sociales - et Frank Pattyn, directeur du Laboratoire de Glaciologie (GLACIOL) - Faculté des Sciences.

Selon vous, qu’est-ce qui fait un expert ? Qu’est-ce qui différencie l’expert du citoyen ?

Romain Weikmans

Le mot expert est parfois appréhendé de façon négative. Un autre mot qu’on utilise souvent pour qualifier un expert est le terme ‘spécialiste’ ou ‘chercheur à l’université’. On le fait afin de pouvoir distinguer le savoir scientifique d’autres formes de savoir.

Tout le monde, aujourd’hui, peut se déclarer expert pour tout, notamment sur les plateaux de télévision. C’est un lieu où tout le monde se présente comme un expert, mais qui a des formes d’expertises très spéciales et différentes d’un expert ou d’un chercheur universitaire.

Une autre difficulté est que de nombreuses personnes, par exemple issues du monde de l’industrie, disposent effectivement d’une expertise très poussée, mais que leur objectivité et leur indépendance ne sont pas toujours faciles à garantir. Ce qui fait la spécificité d’un chercheur universitaire, c’est son recours à la démarche scientifique, son souci de l’objectivité, son indépendance.

Frank Pattyn

Selon moi, un expert c’est quelqu’un qui est reconnu comme expert par ses pairs, qui travaillent dans le même domaine. N’est pas un expert quelqu’un qui s’autoproclame. Ce n’est pas une personne lambda qui peut faire un expert.

Vous considérez-vous vous-même un expert ?

Frank Pattyn

Quelque part, dans un domaine assez précis, qui se porte sur la dynamique des glaces, et la hausse du niveau marin, je me considère ici en Belgique un expert. Aussi au niveau international. Ce n’est pas pour me vanter ! J’étais un auteur contributeur dans le dernier rapport du GIEC. La différence avec les « lead writers », c’est que les auteurs contributeurs sont invités à la demande des autres auteurs. Quand il manque une certaine expertise dans un certain domaine, ils font appel à d’autre.
Si les auteurs du GIEC, qui sont mes pairs, m’ont demandé, je considère que je suis un expert.

Qu’est-ce qui qualifie l’expert pour parler d’un sujet ?

Frank Pattyn

Je pense qu’un expert doit non seulement avoir une connaissance de son domaine, mais aussi être actif dans son domaine. La connaissance doit être suffisante, mais pas exhaustive. Contribuer à des comptes rendus permet d’avoir une vue synthétique sur base de toute la recherche qui est disponible et connue. J’en ai moi-même écrit quelques-uns, c’est souvent aussi sur invitation. Cela montre la notoriété, même si je trouve ce mot un peu pompeux.

Je suis aussi demandé comme expert en Flandres pour le niveau marin. Depuis Covid, les différents gouvernements demandent des groupes d’experts pour les questions de changement climatique. Il y a des demandes au niveau du politique et des décideurs.

Votre légitimité, en tant qu’expert, a-t-elle été remise en cause, parfois ?

Romain Weikmans

Pas vraiment, non.

Frank Pattyn

Sur les réseaux sociaux, oui ; il y a toujours des sceptiques qui arrivent avec d’autres idées et qui parfois deviennent un peu agressifs.

J’ai également fait des débats avec d’autres scientifiques climato sceptiques, ou simplement des scientifiques avec des opinions différentes. Ce n’est pas mettre en question l’intégrité scientifique. À la base de la science, il y a toujours une discussion. Je n’ai jamais évité la confrontation. Niveau climato scepticisme on a eu quelques personnages à l’ULB aussi...

Pensez-vous maîtriser complètement votre domaine d’expertise ?

Romain Weikmans

C’est intéressant car j’utilise très peu le terme ‘expertise’, j’utilise plus la ‘spécialisation’. Les chercheurs universitaires sont très spécialisés. Je pense que je peux raisonnablement dire que je maîtrise les sujets sur lesquels je concentre mes recherches ! Pour ce qui est de l’enseignement, je maîtrise bien sûr également les sujets que j’enseigne mais l’approche est un peu différente : les cours que je donne s'adressent à de jeunes étudiants, et sont dès lors très généralistes, ils se basent sur des savoirs bien établis dont je ne suis pas à l’origine. Dans mes recherches personnelles, je me concentre sur des sujets très spécialisés.

Frank Pattyn

On ne maîtrise jamais parfaitement ! Il faut connaître les limites, les limites de la connaissance, et de ce qui est connu. Mais je trouve aussi qu’il faut être honnête.

Quand on me demande pour une interview de commenter quelque chose, je reçois toujours la question : « est-ce que cette inondation, ce feu de forêt, est-ce que c’est le changement climatique ? » C’est une très vaste question, parce que la réponse c’est « non, ce n’est pas le changement climatique, ce sont des phénomènes qui ont toujours existé », mais évidemment si ça devient plus intense et fréquent, le changement climatique a toujours une main là-dedans. Maintenant l’attribution est plus compliquée. Je ne vais certainement jamais essayer de quantifier ça. Ça ne vaut pas la peine parce qu’il y a quand même un message à faire passer. Le plus longtemps on attend, le plus ça devient compliqué de remédier aux tendances actuelles.

Pensez-vous que votre expertise influence les personnes qui ‘ne savent pas’, notamment les étudiants ?

Romain Weikmans

Oui. C’est une grande responsabilité, en un sens, que l’université et la science conservent une grande légitimité. Il faut donc être à la mesure de cela et ne pas raconter n’importe quoi sur tous les sujets : ne pas s’estimer expert en tout, mais plutôt donner des clés pour comprendre.

Est-ce que votre qualité d’expert affecte votre vie privée, êtes-vous donc ‘prudent’ sur votre impact climat ?

Romain

Je faisais déjà attention à mon impact sur l’environnement avant de devenir expert en la matière mais je crois aussi qu’il y a des dimensions collectives là-dedans.

Nous étions dans un système où l’évaluation de la performance scientifique était basée sur l’exportation des recherches du chercheur à l’étranger à certaines conférences. Si on évalue les chercheurs sur cette base, il est évident que les chercheurs le font. Donc, il faut changer les critères de la performance car cela peut donner une injonction assez contradictoire au public : celle de réduire son impact sur l’environnement et celle de continuer à pousser vers la présentation des résultats scientifiques en voyageant à travers le globe.

Frank Pattyn

J’essaie, j’essaye. Avec le changement climatique, on essaye de limiter son empreinte, de faire attention. A la base un scientifique, c’est le plus mauvais élève, parce que on a une vie professionnelle qui est caractérisée par les conférences ici et là. En plus, on fait du terrain. J’ai été 13 fois en Antarctique. Ça a aussi un coût écologique. On essaye de faire moins, de mieux prioriser ou combiner des choses.

Je vois ça par exemple avec des jeunes qui sont nettement plus anxieux. Ils trouvent aussi que la recherche n’est pas assez valorisée, et ils adaptent aussi à un très grand niveau leur vie. On voit ça maintenant à des conférences, le comportement des jeunes est différent. On essaye de participer à distance, voyager en train, ils font tout cet effort pour limiter leur empreinte carbone. Avec raison ! Mais parfois à un point où ça complique l’organisation.

Au vu des rapports établis en matière climatique lors de ces conférences et en considérant votre qualité d’expert, comment délier l’information de la désinformation en tant que citoyen à propos des enjeux écologiques ?

Romain Weikmans

La base est sans doute de regarder si la source de l’information est fiable ou non. On ne peut pas mettre sur pied d’égalité le post Facebook d’un expert auto-déclaré avec les propos d’un chercheur universitaire rapporté dans un article de presse d’un quotidien de qualité (comme le Soir ou le Monde).

Mais c’est un sujet compliqué car la presse de qualité n’est pas gratuite, ce qui fait qu’une certaine partie de la population n’y a pas accès. C’est aussi à cet égard que les médias sociaux sont importants puisqu’ils ont davantage de responsabilité de relayer des vraies informations, de modérer les contenus.

Frank Pattyn

Je fais régulièrement du fact-checking pour différentes agences de presse. Les journalistes me contactent, surtout sur des choses qui circulent sur les réseaux sociaux. Je ne suis pas le seul ! ils contactent d’autres scientifiques.

Je ne sais pas si ça aide énormément, mais il y a quand même un effort assez important qui se fait actuellement par les différents organismes de presse pour faire du fact-checking à cause de ces réseaux sociaux qui sont si polarisés. La désinformation, il y en a pas mal, donc je réponds régulièrement là-dessus dans les médias.

Les réseaux sociaux sont-ils une bonne ou une mauvaise chose dans la propagation d’informations concernant le climat ?

Romain Weikmans

Ça dépend pourquoi. Les réseaux sociaux sont très puissants en matière de mobilisation et de conscientisation au sein du public. Mais ça peut aussi être le contraire. On parle aussi souvent de la responsabilité des réseaux, et donc des plateformes elles-mêmes, qui doivent mettre en place des outils afin que la désinformation ne circule pas, mais ça reste complexe.

les rapports du GIEC ont-ils véritablement un impact sur la population et sur les États ? Ou l’expert parle-t-il un peu en “vain”, selon vous ?

Frank Pattyn

Il y a une différence entre GIEC et COP, hein !

Le GIEC fait des rapports de l’état du climat. Il y a trois groupes de travail : le premier c’est sur la science du climat, c’est là que je suis impliqué ; le deuxième c’est sur les impacts, et puis il y a un groupe sur l’atténuation et l’adaptation.
Mais on est déjà dans un nouveau climat. La température est déjà plus de 2 degrés plus élevé que le niveau préindustriel. Ce changement est là avec des conséquences, qui demandent une adaptation.

Le GIEC n’est pas prescriptif. C’est-à-dire, il ne va jamais dire « voilà ce qu’il faut faire », il va dire « voici les possibilités ». De toute façon il n’y a pas de solution miraculeuse pour le changement climatique. C’est un mix de tout qu’il faut. Alors évidemment, certains pays ont plus facilement accès à certaines actions. Et donc c’est là que la COP joue un rôle.
La COP regarde les émissions de tous les pays et dresse un plan de la responsabilité de tous les pays. C’est-à-dire qu’il y a des économies émergentes qui peuvent encore profiter d’énergies fossiles. Mais ceux qui sont déjà bien établis, Etats-Unis et Europe, doivent faire le plus grand effort. Nous sommes les plus grands émetteurs historiquement parlant. Ce qui compte pour le climat c’est la somme de toutes nos émissions. C’est là que les quotas sont proposés et les pays doivent faire des plans pour les atteindre. Pour les pays d’Europe, c’est l’UE qui décide.

Maintenant, il y a des choses qui bougent. Dès le premier rapport GIEC, on a émis la moitié de toutes nos émissions. Donc on peut interpréter ça comme un échec, ou bien, s’il n’y avait pas eu ce rapport, peut-être qu’on aurait émis 60 ou 70%.
En fait, le GIEC fait des projections sur base des scenarios d’émission. Et donc c’est clair que grâce au COP à PARIS on est plus sur le scénario « business as usual », le scénario le plus élevé.
Donc il y a déjà des améliorations, il y a le climatetracker.org qui regarde sur toutes les politiques qui ont été mises en place par les différentes nations. Avec toutes les politiques qui sont mises en place maintenant, on va vers 3°-3.5°C. On ne va plus vers 4.5°C, voire 5°C ! Donc c’est déjà ça. Ce n’est pas encore assez, parce que on doit limiter à en dessous de 2°C. Mais si on regarde les promesses, et les promesses les plus optimistes, on arrive à moins de 2°C. Donc ces promesses doivent devenir des politiques. C’est là que les COP sont si importantes parce qu’on va regarder les émissions de chaque pays. Évidemment ça ne va jamais assez vite, mais si on veut que ça aille plus vite, il faut aussi la politique internationale.
Dire que rien ne se passe c’est faux. Il se passe des choses, mais pas assez vite.
Je vois cette question surtout chez des jeunes. Quand on voit après 6 rapports qu’il y a encore un si long chemin à faire.
Le dernier rapport était le premier w/modèles valables de contribution calottes glaciaires.

Romain Weikmans

Le GIEC est un organe à part qui a été mis en place par les Etats eux-mêmes afin de bénéficier d’une synthèse des meilleures connaissances sur le phénomène du changement climatique, sur ses impacts, et sur les façons d’y faire face. Le fait que tout le monde sache plus ou moins ce que représente le GIEC est déjà quelque chose. Mais la connaissance ne fait pas tout : on sait depuis longtemps que le changement climatique est d’origine humaine et dû aux émissions de gaz à effets de serre… Pourtant, à l’échelle mondiale, les émissions continuent d’augmenter. Les solutions au changement climatique se trouvent en coordination entre les entreprises, les Etats souverains et les citoyens. Les connaissances scientifiques peuvent éclairer les débats publics, mais les scientifiques ne peuvent pas décider des politiques à suivre !

Pensez-vous que le GIEC devrait publier ses rapports plus fréquemment ?

Frank Pattyn

Les rapports du GIEC prennent longtemps à préparer. Il y a parfois jusqu’à 7 ans entre les publications. Le 6ème est encore chaud, mais on est déjà dans la préparation du 7ème. J’ai déjà eu des réunions pour les projections de modèles climatiques. Ils prennent beaucoup de temps. Ça prend plus d’un an pour tourner un modèle. Il y en a plusieurs, et des tonnes de données. On ne parle pas de térabyte, c’est des pétabytes ! C’est énorme et c’est des milliers de gens qui doivent scrutiner tout ça.
Donc en fait maintenant on a aussi des réunions pour essayer de coupler ces modèles. On doit aller vite parce que dans quelques mois on va démarrer avec le 7e rapport.
Par contre, il y a des rapports intermédiaires. Il y en a eu deux avant le 6e rapport, et il y aura d’ailleurs un rapport spécial avant le 7e, sur le climat dans les villes.

Les rapports requièrent l’approbation par des décideurs. Il y a-t-il une crainte de censure ?

Frank Pattyn

Alors, chaque rapport fait l’objet d’un résumé technique, puis on fait un résumé de ce résumé pour les décideurs. C’est entre 30 à 50 pages, mais à chaque fois on nous demande de faire moins long. Ça doit être approuvé à l’unanimité, ligne par ligne, par les différents représentants des différentes nations.
En fait c’est surtout sur la formulation, l’interprétation des faits. Il y a aussi beaucoup de manœuvres pour ralentir le consensus. C’est un jeu politique. A la fin c’est accepté, et les pays qui ne sont pas d’accord se retirent. Parfois c’est aussi très juridique. Mais ça ne fait rien à la science. Ce sont les scientifiques qui rédigent le tout.
Le résumé technique résume les faits scientifiques. Il y a à chaque fois des nations qui s’opposent à une tournure de phrase dans le résumé des décideurs, mais si c’est dans le résumé technique, l’information ne peut pas être niée.

Donc en fin de compte ce sont les scientifiques qui ont le dernier mot.

Quel message voulez-vous transmettre dans cette interview ?

Frank Pattyn

Un journaliste est toujours en demande. Il y a de moins en moins de journalistes spécialisés, ce sont tous des généralistes. Ils peuvent par inadvertance poser de mauvaises questions. Donc c’est parfois mieux d’être sûr de pousser les choses importantes à évoquer sur un sujet.

Ce que moi je veux dire ici, c’est qu’il y a donc des changements qui se font, peut-être pas assez rapides, mais il y a quand même un résultat qu’on peut voir après ces rapports du GIEC et COP.

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