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8 milliards de bouches à nourrir...

La sécurité alimentaire en jeu : comment assurer à toutes et tous - maintenant et à l’avenir - de quoi manger à sa faim, et ce, de façon durable?

Sur base de l'expertise de Chantal Le Mouël, économiste et directrice de recherche, Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE).

La rapide croissance démographique s’accompagne d’une augmentation de la demande de produits agricoles.  Pour répondre à cette dernière, les expert·es se sont penché·es sur la question des terres cultivables.  Dans un premier temps, autour des années 90’-2000’ , les estimations étaient optimistes : il y a encore des terres cultivables non exploitées!  Pour autant, force est de constater que ces estimations ne tenaient pas en compte toute la réalité… Aujourd’hui, les expert·es s’accordent pour dire qu’il faudrait s’en tenir aux terres déjà défrichées.  La question de la sécurité alimentaire se pose donc : comment assurer à tous.tes, maintenant et à l’avenir, de quoi manger à sa faim et ce de façon durable ?  

Aujourd'hui, deux courants s’imposent pour répondre aux crises qui menacent la sécurité alimentaire. L’ensemble des systèmes agricoles n’est plus capable de répondre aux enjeux de demain.  On n’a d’autre choix que de changer le système actuel. 

Le premier courant a pour principe d’employer moins d'engrais et de pesticides chimiques tout en augmentant les rendements. Pour ce faire, c’est à la robotisation et aux big data que nous faisons appel. Ceux-ci permettent de calculer exactement la quantité de pesticides dont les parcelles agricoles ont besoin. Ainsi, le déversement des produits chimiques dans l’environnement est plus limité. Nous appelons cette technique l’agriculture de précision.  Sur le fond, ce courant ne rentre pas en conflit avec notre mode de consommation actuel, il n’appelle, par exemple, pas à la sobriété : l’outil technique est amené comme une solution pour assurer notre mode de vie actuel.  

Le deuxième courant est celui de l’agroécologie. Cette dernière se base sur les régulations biologiques et apparaît comme une alternative à l’agriculture industrielle qui est basée sur l’utilisation d’intrants chimiques. À ce propos, Chantal Le Mouël explique : « l’agroécologie met en avant l’idée selon laquelle il faut avoir une agriculture qui valorise les régulations biologiques pour avoir une agriculture durable, c’est-à-dire qu’il faut reconstruire des systèmes qui, à l’équilibre, n’auront plus besoin d’engrais chimiques ni de pesticides chimiques ». 

Il faut savoir qu’avant l’arrivée de la chimie et des engrais chimiques, les agriculteur·ices cherchaient un équilibre naturel dans les écosystèmes avec une riche biodiversité. Un exemple parlant est celui des pucerons qui ravagent les cultures ; pour pallier ça, l’agriculteur·ice peut introduire des coccinelles qui se nourrissent de pucerons. Mais, quand sont arrivés la chimie et l’introduction massive des intrants, la question de la régulation naturelle a été reléguée au second plan.  Ce deuxième courant cherche justement à remettre les régulations biologiques au centre des pratiques agricoles.  

Il est aussi crucial de prendre en compte la santé en tant que facteur dans nos scénarios pour analyser la thématique de la sécurité alimentaire de manière exhaustive.  Les régimes alimentaires ont, non seulement, un impact significatif sur la santé humaine, mais aussi, sur la santé environnementale.  

Le constat le plus évident est que nous devons globalement réduire notre consommation.  Sur ce plan-là, plusieurs réalités coexistent dans le monde. Pour simplifier les choses, on peut distinguer, d’une part, les pays dit industrialisés au sein desquels on constate une épidémie de maladies non transmissibles (diabète de type 2, obésité, maladies cardiovasculaire, etc) ; et d’autre part, les pays dit en voie d’industrialisation dans lesquels on constate des problèmes de sous-nutritions parmi une partie de la population. À différentes problématiques, il convient de proposer des réponses différentes. 

Prenons le cas de la production de la viande pour illustrer cette différence.  Il est pertinent de vouloir réduire sa consommation dans le cas des pays industrialisés mais la question est différente pour les pays dans lesquels les besoins nutritifs protéiques ne sont pas pleinement satisfaits.  Pour Le Mouël, il serait même nécéssaire d’augmenter la consommation de viande parmi certaines populations. 

Les habitudes alimentaires ont donc un impact sur la santé et l’environnement. A ce niveau-là, les tendances observées actuellement ne sont pas encourageantes. On constate en effet que les pays qui n’ont adopté que récemment un modèle de grande distribution (avec les problèmes de surconsommation que cela entraîne), tendent aussi à adopter le régime alimentaire des pays industrialisés : une alimentation (trop) riche et basée sur des produits  transformés.[1]

Nous nous trouvons à une époque charnière où nous devons repenser nos modèles agricoles.  Sur les deux modèles abordés dans cet articles, Chantal Le Mouël affirme que : « Dans les pays européens, on est entre ces deux-là et on ne sait pas lequel choisir. On garde les deux pour contenter un peu tout le monde »

A l’aune des prochaines élections européennes en 2024, il nous semble important, en tant que citoyens européens, de se pencher sur ce vaste débat directement lié aussi à notre souveraineté alimentaire.   


[1] Mora, O., Le Mouël, C., de Lattre-Gasquet, M., Donnars, C., Dumas, P., Réchauchère, O., Brunelle, T., Manceron, S., Marajo-Petitzon, E., Moreau, C. and Barzman, M., 2020. Exploring the future of land use and food security: A new set of global scenarios. PloS one, 15(7), p.e0235597.