De nombreux vaccins, développés au cours de l’année 2020, en pleine pandémie de Covid-19, sont à présent commercialisés et distribués partout dans le monde, faisant enfin espérer une sortie de crise. Nous avons interrogé Véronique Fontaine, professeure à la Faculté de Pharmacie et chercheuse en microbiologie et en chimie bio-organique et macromoléculaire, à propos de la production de ces vaccins.
Une mine d’or pour les firmes pharmaceutiques?
Comment les entreprises pharmaceutiques financent-elles leurs vaccins afin de parvenir à les mettre sur le marché?
Véronique Fontaine
La plupart du temps, les États n’investissent pas dans la production des vaccins; les investisseurs viennent du secteur privé. Dans le cas du vaccin contre la Covid-19, les États ont investi afin d’accélérer le processus de production. Il faut savoir aussi qu’on estime que sur une dizaine de vaccins conçus, un seul sera finalement mis sur le marché en moyenne. Pour les vaccins contre la Covid-19, près de 200 demandes de production ont été introduites et, pour l’instant, seuls 13 vaccins ont été mis sur le marché dans le monde.
Parmi ces 13 vaccins, les vaccins Moderna et Pfizer utilisent une nouvelle stratégie basée sur l’administration d’ARN messager. En quoi cela consiste-t-il et quelles infrastructures sont nécessaires à la production de tels vaccins?
VF
La technologie de l’ARN messager a été développée dans le cadre de la recherche de traitements contre le cancer. Le but était de faire des vaccins potentiellement personnalisés pour traiter le cancer, en utilisant comme composante l’ARN messager capable de reproduire certains motifs spécifiques à la surface des cellules cancéreuses, appelés épitopes, et en faisant en sorte que le système immunitaire prenne ces motifs pour cible. Finalement, c’est une technologie relativement simple: de nombreux laboratoires ou entreprises étaient déjà capables de synthétiser des acides nucléiques, y compris de l’ARN messager, comme Eurogentec en Belgique. Bien sûr, les sociétés qui travaillaient déjà sur ces technologies à ARN messager contre le cancer ont eu la possibilité de réagir très rapidement pour tenter de développer et produire un vaccin contre la Covid-19 avec la même technologie. Dès lors qu’on a osé franchir ce pas pour la Covid-19, on peut à présent espérer pouvoir améliorer la thérapie cancéreuse à long terme.
Mais n’y a-t-il pas un risque à court terme, vu l’énorme demande en vaccins contre la Covid-19, que les entreprises pharmaceutiques ne s’occupent plus que de ces vaccins et délaissent la production d’autres vaccins ou médicaments?
VF
Non, je ne pense pas. Il faut savoir que l’entreprise GSK, qui produit 25% des vaccins dans le monde, est peu impliquée dans la course au vaccin contre la Covid-19. Elle continue donc de produire normalement. Pour les autres entreprises, la production d’un vaccin contre la Covid-19 n’aura pas vraiment d’influence sur le reste de leur production pharmaceutique. L’idéal, évidemment, serait que chaque État puisse assurer une production sur le long terme, mais cela demanderait d’investir beaucoup dans les contrôles de qualité.
Justement, les protocoles lors de la phase de conception d’un vaccin sont extrêmement stricts. Y en a-t-il autant lors de la phase de production du vaccin? Comment se fait-il que le vaccin contre la Covid-19 ait pu être produit si rapidement?
VF
Tant dans la conception que dans la production d’un vaccin, 90% des investissements partent dans des contrôles. Dans le cas du vaccin contre la Covid-19, les procédures et protocoles de contrôle de chaque phase du développement ont été entièrement respectés. Le processus a seulement été accéléré grâce à la recherche foisonnante et aux investissements massifs.
Finalement, si les contrôles coûtent si cher aux entreprises pharmaceutiques, quel intérêt ont-elles à produire un vaccin, et quelles sont leurs marges de manœuvre pour défendre ces intérêts?
VF
Chaque entreprise évalue les risques qu’elle prend avant de développer un vaccin. Généralement, on n’investit pas dans un vaccin contre une maladie qui ne toucherait qu’une population relativement petite. La décision de développer un vaccin est prise en lien avec la rentabilité du produit. Développer un vaccin contre un virus qui touche une population plus large, comme celui de la Covid-19, c’est aussi une question de santé publique: quand un produit est indispensable pour une population, diverses organisations internationales font du lobbying auprès des firmes pour que le coût du vaccin soit le plus bas possible. Chaque firme pharmaceutique pense à la rentabilité, mais d’un autre côté, si elle fait n’importe quoi, c’est sa crédibilité qui est en jeu, et donc sa survie à long terme.